Les dernières propositions de l’UDC en matière d’aide sociale confirment l’attitude de mépris qu’entretient ce parti à l’égard des politiques de solidarité. En proposant notamment que les communes renoncent à appliquer les critères minimums recommandés par la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS), l’UDC démontre une fois de plus où et comment elle agit : sur les victimes et non sur les problèmes. Des victimes qui sont, depuis des années, qualifiées de « profiteurs » et d’ « abuseurs ». Cette nouvelle fronde contre les plus faibles de notre société est une couche supplémentaire d’exclusion, de stigmatisation et d’humiliation. Elle nuit à la cohésion sociale de ce pays et de sa population. Elle remet en cause les fondements de notre Constitution.
Cette nouvelle fronde contre les plus faibles de notre société est une couche supplémentaire d’exclusion, de stigmatisation et d’humiliation.
La perspective de démantèlement de ce qui constitue l’ultime maille du filet de la protection sociale ne doit en aucun cas être prise à la légère. En effet, d’une part, le fédéralisme en matière d’aide sociale évolue, en lien notamment avec la mobilité de la population et la complexité constante des situations vécues. Ainsi, de plus en plus d’acteurs concernés, dont les cantons et les villes, plaident pour une harmonisation (au moins minimale) de ces pratiques. Juste le contraire de ce que souhaite l’UDC ! D’autre part, depuis une vingtaine d’années, en regard des transformations de la prise en charge, des difficultés d’intégration sociale et professionnelle ou des transferts de charges des assurances sociales (invalidité et chômage surtout) vers l’aide sociale, les réflexions se sont affinées. Les perspectives d’innovation doivent maintenant permettre de dépasser l’ancienne « assistance publique », devenue désuète. Dans ce sens, moderniser les relations communes – cantons – Confédération dans ce domaine serait faire preuve d’intelligence.
L’aide sociale est au carrefour de son destin. D’autant plus que ce débat renvoie à un changement de paradigme : l’affaiblissement du principe d’assurance et le renforcement de l’aide sociale. Or, cette tendance, fruit d’une vision étriquée du ciblage des prestations, pose problème. Sur la scène politique, peu en ont conscience… Ce phénomène, souvent considéré comme théorique, est pourtant essentiel. Car, il a été démontré que le ciblage des prestations (par l’aide sociale) est une fausse bonne idée. Elle relèvea priori d’un bon sens. S’il permet de privilégier ceux qui le sont le moins, en leur réservant des prestations dont ils seraient les uniques bénéficiaires, ces mesures engendrent des charges administratives importantes et ont un coût symbolique élevé. En légitimant le principe des conditions de besoin contre le principe de l’égalité des citoyens par les assurances, le ciblage ouvre une brèche dans l’unité de la cohésion sociale. Il accrédite deux catégories de citoyens, ceux qui ont besoin de l’aide de l’Etat et ceux qui sont pleinement capables d’assumer leur destinée et celle de leur famille. Revoilà le clivage entre les uns et les autres, qui se décline en matière de capacité et de dignité. L’universalité des prestations d’assurances sociales, dont l’AVS est le meilleur exemple, a permis d’effacer la stigmatisation et la honte liées au geste de recevoir d’autrui ses propres moyens de subsistance. Le ciblage des prestations est une régression de la politique sociale orientée vers la charité plutôt que vers une notion ouverte et moderne de droits sociaux contribuant au maintien de la paix sociale. C’est le progrès à l’horizon 1880 !
La proposition de l’UDC nous rappelle enfin la très grande difficulté des autorités suisses d’admettre que la pauvreté est une réalité, un phénomène qui frappe un pays aussi riche que le nôtre, contre lequel il faut des actions de régulation économique (la lutte contre les bas salaires) et de politique sociale. Parce qu’elle n’est pas véritablement perçue comme un problème social à part entière, la pauvreté appartient incontestablement à ces mythes qui caractérisent la politique suisse. Reconnaître l’existence de la pauvreté et la nécessité d’y répondre par des actions politiques spécifiques est par conséquent devenu un enjeu majeur. Discréditer l’aide sociale apparaît dans ce contexte comme une manœuvre pour éviter de la moderniser et d’innover.